
Hotel La Mirande
L'expérience
Pour de nombreux chefs, la cuisine est un métier. Certains - les grandes toques, les artistes - en font un mode d'expression. Deux thèmes majeurs dans la cuisine de Florent Pietravalle : la production locale et la fermentation. On nous dira qu'il n'y pas un cuisinier moderne qui ne fasse pas aujourd'hui ses garums, et ne vous assomme pas par son utilisation à tout bout de champ du lactosérum, mais le jeune chef de cette magnifique maison presque collée au Palais des Papes montre aujourd'hui bien plus qu'un bêlement modeux. Il fait de ses séquences en liberté un spectacle, dans une scénographie bien orchestrée - le jeune service mené tambour battant par un directeur frétillant y participe avec talent - et peut en effet se permettre ses menus à l'aveugle tant le plaisir multisensoriel des convives est assuré : les huîtres de Migliore en trois idées sonnent le début du spectacle comme les trois coups au théâtre, avant une audacieuse création, garum de bœuf et caviar Kristal d'une part, glaçon d'herbe à l'Oli'Gin (produit local huile d'olive gin) et bière fabriquée ici-même dans la chambre de fermentation, d'autre part, un travail aussi bluffant sur la langoustine (cédrat petit lait, garum de pollen carotte, bouillon dashi), le concombre de mer sauce pil-pil et cocos, confiture de tomate kimchi et tartelette au foie de lotte, le bœuf sur galet caviar d'aubergine ail noir glace aubergine tacos de queue de bœuf, le tout au parfum de Guishu, le vin de riz fermenté d'Olivier Sublett. En concluant par un remarquable dessert sur le thème maïs - évidemment à la bière de maïs fabrication maison - on comprend que cet exercice de haute imagination fait passer le goûteur de la cuisine traditionnelle à un monde différent dans un saut spatio-temporel, un peu comme si un lecteur sans instruction passait du Club des Cinq à Heidegger. Pourtant, de tous ces plats de concours, se dégage l'impression, comme naguère chez Gauthier ou chez Mazzia, deux références plutôt prometteuses pour Pietravalle, que le goût est bien là, les saveurs bien en place, et que, s'il ne perd pas ses convives en route par trop de complexité, le chemin des grandes toques est déjà tracé. Carte des vins de tous les grands, un peu palace, mais très complète sur toute la vallée du Rhône, avec les bons choix sur les moins connus (Reméjeanne, Sang des Cailloux, Mordorée, Finon...).
