L'assiette Champenoise

L'expérience

À cette altitude, l’air est pur, et les champions qui fréquentent ces sommets sont peu nombreux. Encore plus rares, les chefs indépendants, qui sont chez eux et concilient les métiers de chefs d’entreprise, cuisiniers et aubergistes. Dans la noblesse du genre, il y a L’Assiette Champenoise et son chef Arnaud Lallement. Qui rappelait l’autre jour, interrogé sur les problèmes de personnel, qu’il était plutôt épargné. «Et dans vos autres maisons ?», s’enquiert son interlocuteur. «Dans les autres maisons, ça va encore mieux puisqu’il n’y en a pas.» Et là, tout le monde tire le chapeau : depuis plus de vingt-cinq ans, Arnaud Lallement a tout bâti, tout misé (et avec quelle réussite !) sur la haute gastronomie et sur une seule maison. Et quelle maison ! Avec son épouse Magali, sa sœur Mélanie et son équipe de feu (ils ont tous l’air heureux et fiers, on se demande bien pourquoi, alors que tout le monde dit que ce sont des métiers pénibles), il rend le séjour inoubliable. Parce qu’il a une haute idée du prestige à la française, celui qui n’est pas exclusivement confié à des directeurs financiers, il peut donner le meilleur, et même l’exceptionnel, à tour de bras, en laissant le choix, devenu luxe rare, en proposant des menus et une carte où tout est proprement fastueux. Parmi les trésors de cette année, le tourteau, en une tartelette de chair et sauce plancton ou dans une stupéfiante version de la pince avec une sauce étrille et épices, le caviar osciètre avec le haddock et une mousseline de pomme de terre, un classique revu avec tant de grâce, le homard dans une nouvelle version, piment vert et amaretto (une autre version le propose en hommage à son papa avec des pommes de terre). La France, ce sont des sauces et de grands sauciers : Arnaud appartient à cette école et fait partie des tout grands, avec les Arnaud Donckele, Yannick Alléno, Jean-François Piège, Guy Savoy, Christian Le Squer, comme le prouve encore ce beurre noisette sur une base hollandaise, une merveille d’onctuosité sur la barbue au caviar, ou sur le turbot de 12 kg (pas entier, on vous rassure) aux oignons. Les viandes ont la même attention, les desserts sont généreux, par un chef pâtissier d’excellence lui aussi (magique, la framboise et la vanille !). Quant à la carte des vins, c’est la plus éblouissante, mais surtout la plus cohérente, la plus pointue, la plus suggestive, sur champagne et bourgogne particulièrement. Et si vous avez la chance de goûter tout ce plaisir dans son intégralité, vous constaterez que, quel qu’en soit le prix, en allocation bonheur et en souvenirs, vous êtes largement remboursés.